dimanche 21 décembre 2014

A Cry in the Night (1956)


A Cry in the Night (1956)


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Je reprend la discussion où on l'avait laissé en janvier dernier, après avoir vu ce fameux A cry in the night de Frank Tuttle. Bien sûr, en tant que grand admirateur de Natalie Wood, mon jugement peut être quelque-peu biaisé sur le film :fiou: .

Sorti dans la foulée de La fureur de vivre (et de La prisonnière du désert ), on y retrouve un peu cette ambiance typiquement 50's / happy days des jeunes amoureux trainant un peu trop tard le soir dans leurs décapotables américaines garées sur une colline (la colline des amoureux) sous un ciel étoilé, discutant rock’n’roll, bal de lycée, ou de leur avenir et pratiquant le langage universel.
Comme dans la fureur de vivre, Natalie a un père un peu trop rigide, capitaine de police de surcroit. La figure du père de famille américain est incarnée par Edmond O'Brien et celle du commissaire par le toujours charismatique Brian Donlevy.

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Une voix off d'introduction nous averti d'emblée : les parents ont parfois raison de s'inquiéter parfois un peu trop pour leurs "kids". Musique flippante et gros plan sur un voyeur caché dans un bosquet épiant les deux tourtereaux Natalie Wood et Oscar Goldman qui passaient jusque là un bon moment.

Quand le voyeur en question a le visage de Raymond Burr qui faisait flipper les spectateurs américains deux ans auparavant en tueur façon Père Noël est une ordure dans Fenêtre sur cour, le spectateur de l'époque ne rigolait sans doute plus : kidnapping immédiat de la belle et fragile Natalie Wood et viole potentiel à la clef.

Le scenario de David Dortort tiré d'une nouvelle de Whit Masterson (All through the Night) est très simple mais fonctionne bien. Le père rigide, le fiancé (dépassé mais courageux) et le bon commissaire vont d'abord s'expliquer virilement avant de partir à la chasse au maniaque.

Mais c'est Raymond Burr qui tire son épingle du jeu dans un rôle d'attardé mental sans doute malmené par sa maman trop protectrice, devançant quelque-peu le Norman Bates de Psychose (1960) mais reprenant aussi et surtout la figure de l'inadapté et fragile Lennie Small du roman de Steinbeck Des souris et des hommes (incarné plusieurs fois au cinéma de Lon Chaney Jr. à John Malkovich).

Avec la carrure imposante de Raymond Burr face à la frêle Natalie Wood, les scènes prennent un petit côté King Kong/Fay Wray. On frémit pour Natalie tout en ayant de la compassion pour son bourreau intellectuellement déficient, visiblement pas violent de nature mais que la vie n'a pas gâté.

Un petit film, dont la cible devait sans doute être le jeune public des drive-ins (l'équivalent des films d'horreurs d'aujourd'hui), mais c'est un thriller qui fonctionne bien. Natalie Wood fait le job mais il faudra attendre encore pour qu'elle ai des rôles plus denses à interpréter.
Selon les dires, Natalie Wood et Raymond Burr se seraient trèèèèès bien entendu sur le tournage, au point qu'il fut peut-être question de mariage ou en tous cas d'une relation sérieuse et intense. Relation qui n'était pas du gout des studios Warner qui préféraient voir Natalie dans les tabloïds aux côtés du jeune et beau et blond Tab Hunter (son partenaire dans son film suivant, Collines brûlantes) quitte à faire pression sur Burr pour l'écarter de leur étoile montante. Peur du scandale sans doute aussi, compte tenu de leur différence d'âge (17 et 38 ans). La connaissance de ces faits n'en rend que plus savoureux ce face à face entre la belle et la bête.

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mercredi 3 décembre 2014

The Perfect Specimen / Un homme a disparu (1937, Michael Curtiz)

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The perfect specimen est clairement un frère siamois du New-York-Miami de Franck Capra. Errol Flynn reprenant en quelques sortes le rôle de Claudette Colbert, à savoir celui de l'héritier milliardaire (Gerald Beresford Wicks) en fuite de sa prison dorée.

Gerald Beresford Wicks est élevé comme l'homme parfait, à la fois physiquement, moralement et intellectuellement, repassant ses leçons de physique tout en faisant sa gymnastique. Sa grand-mère a planifié son mariage avec sa cousine depuis l'enfance. Il est comme une plante sous serre, vivant dans l'isolement du monde (le film s'ouvre à la manière d'un Citizen Kane comique par un travelling sur les panneaux "Trespassers will be prosecuted" et "Beware of the dogs").
Cette belle perfection vole en éclat lorsque Mona Carter, la sœur de Jink Carter, un employé de la famille Wicks, enfonce (volontairement) les grilles de la résidence et fait la rencontre du fameux héritier..

La différence principale avec le film de Capra se situe dans la minceur du script. Il faut bien le dire, là où It Happened One Night dispose d'une intrigue de comédie romantique simple mais imparable (une héritière en fuite pour échapper à un mariage forcé est accompagnée d'un journaliste au chômage qui trouve l'occasion de se refaire en cachant son identité réelle), The perfect specimen est conçu comme une farce davantage "screwball" et dénuée d'un argument solide (s'il y est également question de mariage arrangé, ce n'est même pas tant le refus de ce mariage qui est le moteur de l'action, juste un besoin irrépressible d'air et de liberté).
C'est un tout petit regret car on s'en passe très vite, et ce grâce au talent et à la fantaisie des acteurs et à la grande légèreté de la réalisation de Michael Curtiz qui rapproche le film des meilleurs Gregory La Cava ou Mark Sandrich.

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Je crois qu'il s'agit de la première incursion d'Errol Flynn dans la comédie et il faut bien dire que c'est un coup de maître dans un rôle à contre-emploi (imaginez Errol en jeune vierge propre sur lui, sans expérience et coupé du monde, soit l'exact inverse il me semble de sa personnalité!). Et il n'a, dans le registre goguenard, rien à envier à Clark Gable. La crédulité inhérente au personnage en plus. Son enthousiasme, la simplicité et la légèreté de son jeu sont communicatifs.
On oublie totalement le héros et l'aventurier, on est ici devant un pur acteur de comédie, au point qu'on peut regretter qu'il n'en ai pas fait davantage à cette époque.

Joan Blondell hérite d'une partition plus délicate et superficielle, à savoir un personnage un peu irréel, malicieux mais tendre ("docteur Jekyll and mister Hyde") qui semble sorti de nulle-part et qui, pour s'amuser, entreprend à la faveur d'un pari de défoncer les grilles interdites afin de rencontrer le "perfect specimen" dont tout le monde parle. Elle semble n'avoir qu'un but : casser cette trop belle perfection et libérer le jeune homme de son carcan en l'incitant à s'attaquer à tous les "moulins à vent" (allusion à Don Quichotte), à commencer par sa grand-mère acariâtre et ultra-conservatrice qui tyrannise tout son petit monde à longueur de journée et fait la pluie et le beau temps dans la famille.

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Dans New-York-Miami, Gable (puisque les positions homme-femme sont inversées, Flynn incarnant ici une sorte de belle au bois dormant) était un journaliste quelque-peu crapuleux qui jouait un double jeu avec Claudette Colbert, jeune fille de bonne famille naïve qui allait s'ouvrir au monde réel. Dans L'extravagant Mr Deeds, autre film auquel on pense beaucoup en voyant le film, Jean Arthur était également journaliste.
Il aurait été facile en fait de faire de Joan Blondell une journaliste motivée par l'argent ou par un article à écrire.
Visiblement Curtiz n'a pas souhaité tomber dans cette facilité, ce qui rend le film à la fois plus originale et plus aérien.

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Le personnage de Mona Carter est donc quelque-peu superficiel mais le talent de Joan Blondell fait le reste. Il est rare de voir cette actrice piquante dans un rôle de premier plan comme celui-ci (d'ailleurs son rôle avait été initialement prévu pour Carole Lombard ou Miriam Hopkins).
Elle prouve qu'elle peut tenir les premiers rôles aisément au lieu d'être cantonné aux seconds rôles de meilleur copine piquante et sarcastique comme on l'a vu souvent (aux côtés de Lana Turner, Barbara Stanwyck ou surtout James Cagney notamment). Même physiquement, elle semble plus jolie que d'habitude. Comme si en tant que premier rôle elle avait bénéficié enfin de tous les égards (l'effet tête d'affiche=meilleurs maquilleurs, coiffeurs, habilleurs ?).

Outre le couple vedette, le gros atout du film est son "supporting cast", une pléiade de seconds rôles de haut niveau.
A commencer par Edward Everett Horton qui apporte un brin de Lubitsch touch avec son don particulier pour faire à la fois le lèche-bottes et sortir des répliques sarcastiques qui font mouche. Il est à chaque fois parfait dans ses rôles récurrents de servant/majordome/domestique au point que je le considère un peu comme le pendant américain de Pauline Carton dans les films de Sacha Guitry.
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Son duo comique avec May Robson (la tante dans L'impossible monsieur bébé, et la lady de Lady for a Day de Capra), qui joue la matriarche tyrannique de la famille Wicks, est réglé comme une montre. Je pense notamment au fameux gag du coq qu'il faut zigouiller parce qu'il chante trop tôt au petit matin. Horton s'exécute devant les demandes les plus improbables de la vieille rombière.
Un superbe acteur de comédie dont se sont allégrement servi les meilleurs du genre, en premier lieu Lubitsch lui-même dont il était l'un des acteurs fétiches il me semble (on peut le voir notamment dans La huitième femme de Barbe-bleue, La veuve joyeuse, Ange, Sérénade à trois, Haute pègre) mais aussi Capra (Horizons perdus, Arsenic et vieilles dentelles), Cukor (Vacances) et Mark Sandrich (La joyeuse divorcée et le génial L'entreprenant Mr. Petrov dans lequel il faisait merveille aux côtés de Fred Astaire).

Il y a aussi Harry Davenport (également vu dans plusieurs Lubitsch, mais aussi Autant en emporte le vent et Meet me in Saint Louis) dans le rôle du père de Joan Blondell, le dingue Hugh Herbert et enfin Allen Jenkins, très amusant dans la séquence boxe pendant laquelle Errol expose sa musculature et sa crédibilité bien avant Gentleman Jim.
La scène du combat de boxe est elle un clin d’œil au combat de boxe dans Les Lumières de la ville ? Je me suis posé la question. Quoiqu'il en soit il y a un peu de Chaplin dans la valse d'Errol et de Chloroforme Conley (le champion poids lourd).

Faute d'intrigue solide, le film peine logiquement dans son climax. La scène finale tournant un peu à vide et se transforme en festival de répliques et mimiques pour chacun des seconds rôles (Hugh Herbert, May Robson, Edward Everett Horton) réunis autour du couple vedette.

Si globalement, le comique l'emporte définitivement sur la romance, l'inventivité, la sensibilité et la richesse du jeu déployé par Joan Blondell et Errol Flynn sont d'un tel niveau qu'ils arrivent à faire passer énormément en peu de temps. Quelques gestes et regards suffisent.
Leur signe de ralliement, par exemple, est une trouvaille simple mais formidablement efficace et jouissive.

Je pense aussi à la scène délicate durant laquelle Errol/Gerald Beresford Wicks déclare son amour dans une chambre d’hôtel et qui se termine sur le regard de Joan/Mona Carter au bord des larmes. Magnifique. En une seule séquence romantique à l’hôtel, les virtuoses Curtis, Blondell et Flynn en montrent davantage que dans la plupart des pures comédies romantiques de l'époque. C'est prodigieux. Et inoubliable.


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