lundi 4 janvier 2016

Films noirs, sans domicile fixe : Among the Living (1941)

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Among the Living (1941)


Réalisation : Stuart Heisler
Scénario : Lester Cole (auteur de None Shall Escape et Aventures en Birmanie)
Avec : Albert Dekker, Susan Hayward, Frances Farmer, Harry Carey


Among the Living (1941) est un film qui mélange des thématiques du film d'horreur (le double jumeau comme dans The Black Room / Le baron Gregor (1935) avec Boris Karloff ou le double maléfique comme dans Dr Jekill & Mister Hyde ou Le masque de fer) et du film noir.

Le film s"ouvre sur les funérailles du père de John Raden à l'issue desquelles ce dernier apprend que son frère jumeau Paul, déclaré mort depuis 25 ans, vit toujours, comme un animal, enfermé dans la maison familiale. Paul est mentalement dérangé depuis qu'il a été témoin tout jeune des maltraitances physiques subit par sa mère.
C'est alors que Paul s'évade et découvre le monde civilisé tel le monstre de Frankenstein, à la fois innocent et imprévisible...

L'argument de départ est grossier et le début du film est de fait à la limite du grotesque. la psychologie est sommaire et on craint le pire devant cette histoire de jumeau caché un peu almabiquée. Et pourtant le film prend rapidement dès qu'il dérive vers le film noir aux accents social (on ressent encore les restes de la grande dépression, ce n'est pas l'Amérique capitaliste triomphante qui est dépeinte ici) et "horrifique" de Val Lewton.
Et surtout le Fritz Lang de M le maudit ou Fury n'est pas loin non plus.

Paul Raden, pas pédophile mais sérieusement détraquée quand même et surtout incontrôlable, se retrouvant la cible d'une chasse à l'homme collective.
Il faut avouer que ce sont surtout les scènes avec une toute jeune Susan Hayward, délicieusement profiteuse, qui valent le coup d’œil. Elle a d'abord l'air d'un ange, incarnant une pauvre et gentille fille du peuple, Millie, pas gâtée par la vie et travaillant dans la pension tenue par sa mère. Paul Raden trouvant refuge dans la pension, tombe sous son charme et va la couvrir de cadeaux, tel un gamin amoureux qui aurait volé de l'argent à ses parents et le dépenserait pour se faire aimer de la plus belle fille de l'école. Elle ne demandait rien mais ne se fera pas prier longtemps pour profiter de la naïveté primaire de son protecteur amoureux en se faisant payer robes et autres bricoles .. Elle fera pire par la suite, révélant alors pleinement son caractère vénale et son ingratitude. Ce rôle à la fois sexy et dramatique permit à Susan Hayward (après avoir été remarqué en 1939 dans Beau Geste) de franchir un grand pas vers les sommets d'Hollywood ; sa carrière était bien lancée desormais.

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Albert Dekker joue le double rôle des jumeaux, rasé ou mal rasé (et regard de dingue à la Martin Riggs) pour reconnaître les deux frères. Le rôle était casse-gueule mais il s'en sort bien (sans doute le rôle de sa vie), en particulier dans le rôle du frère dérangé qu'il arrive à rendre presque attachant (en tous cas on a de la peine pour lui) à l'instar de Peter Lorre dans M le maudit.

On retrouve également au casting ce bon vieux Harry Carey (qui délaisse le western et Capra pour l'occasion) dans le rôle ambigu du docteur qui a caché la mort du frère jumeau en faisant une fausse déclaration de décès, se faisant complice du triste sort de Paul, et la belle Frances Farmer (l'une des plus belles femmes de l'époque) malheureusement ici sous-exploitée dans un rôle insignifiant, celui de la femme de John Raden dont la scène principale se résume à la voir crier de terreur rendant d'autant plus violent le jumeau maudit. Ceux qui connaissent sa tragédie personnelle ou qui ont vu le film Frances avec Jessica Lange verront peut-être en cela la conséquence de son état ou bien une punition des studios pour avoir voulu s'émanciper au théatre à Broadway. Dès 1939, sa carrière avait commencé à pâtir de sa mauvaise réputation (alcoolisme, etc) et en dépit de sa performance en Calamity Jane dans le Western The Badlands of Dakota, elle était reléguée aux rôles de second plan. Elle refusa pourtant un grand rôle à Broadway (dans Clash by Night) afin de relancer sa carrière à Hollywood.

Le film est court et le rythme enlevé, ce film hybride entre le noir et l'horreur (photographie poisseuse à l'appui) plaiera aux amateurs de films secs à petit budget. Le réalisateur Stuart Heisler récidivera dans le film noir dès l'année suivante avec une adaptation de Hammett : The Glass Key (1942).

Chaudement recommandé aux fans de Susan Hayward (dont je suis bien entendu), ici plus craquante que jamais (que des plans plutôt osés pour l'époque mettent bien en valeur, notamment un accrochage de jarretelles), faisant alors ses gammes dans un rôle de baby femme fatale.

En 1946, The Dark Mirror de Robert Siodmak (avec Olivia De Haviland) reprendra cette thématique du double mauvais.

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Pour finir, un extrait savoureux de dialogue alors que Paul Raden boit un verre avec une fille au bar (jouée par Jean Phillips) et lui dit naïvement et ouvertement qu'il préfererait être avec Millie/Susan Hayward :

Jean Phillips / Fille du bar : “Well, thanks for the drink. Bring Millie in sometime and we’ll all go over to my place and bake a cake.”
Dekker/Paul Raden : “Oh, I’d like that!”
Jean Phillips / Fille du bar : “Don’t be a dope.”

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