vendredi 13 décembre 2013

L'affaire de la 99ème rue "99 River Street" (1953)

L'affaire de la 99ème rue "99 River Street" (1953)





Attention, c’est du brutal !

A mi-chemin, dans son scénario, entre Mark Dixon détective et Nous avons gagné ce soir (de sacrés références personnelles puisque tous deux dans mon SupfictionTop100) auxquelles je pourrai même ajouter Taxi Driver pour certains aspects, 99 River Street est un film noir en tous points réjouissant mêlant les différents univers de la nuit tel-que la mafia, les chauffeurs de taxi, la faune des bars, ainsi que la boxe et même le théâtre.

Il a donc fallu que je vois mon 8ème film de l'excellent Phil Karlson (après les westerns La poursuite des tuniques bleues, Texas Rangers et Le salaire de la violence, l'adaptation de Georges Simenon Les frères Rico, mais également la parodie Matt Helm, agent très spécial avec Dean Martin, le musical Ladies of the Chorus avec Marilyn Monroe, auxquels j’ajoute Le quatrième homme "Kansas City Confidential" vu dans la foulée) pour enfin identifier le nom de ce réalisateur et faire le lien entre ses films. Et encore, pas tout seul, puisque c'est sur les conseils très avisés de Kiemavel/André Jurieux, spécialiste du noir sur Classik, que je vois celui-ci.

C’est dire si ce réalisateur souffre d’un déficit de notoriété (il n'y a qu'à voir même ici le faible nombre de messages), peut-être parce que ce cinéaste fut quelque peu inégal au cours de sa carrière ou plus surement à mon avis parce que peu de grandes stars travaillèrent pour lui.

L'argument :
Après avoir perdu son match de boxe dans le championnat des poids lourds, Ernie Driscoll est devenu chauffeur de taxi pour gagner sa vie. Il doit de plus supporter les remarques de sa femme, Pauline, qui lui reproche sans cesse son statut de perdant. Elle est assassinée par Victor Rawlins, un voleur de bijoux, qu'elle fréquentait. accusé du meurtre de sa femme, Ernie part à la recherche du vrai coupable...

Phil Karlson est ici au sommet de son art. La photographie noir et blanc est splendide. La réalisation particulièrement soignée et éloquente avec ses protagonistes filmés le plus souvent en contre-plongée, à cinquante centimètres du sol. Comment l’interpréter ? Un moyen d’accentuer le réalisme cru, le cynisme et la dureté des rapports humains, probablement. Ainsi qu’une accentuation de la violence physique et de la cruauté qui habitent chaque force en présence. On retrouve les mêmes effets de style mêlés à un naturalisme formel dans Le quatrième homme que beaucoup considèrent comme son chef-d’œuvre mais que personnellement je situe en dessous.

Et en effet, les scènes de combat (sur le ring mais encore davantage en dehors) sont impressionnantes de réalisme. Et l’acteur John Payne est tout à fait crédible et remarquable dans la peau d’un ex-boxeur mis en retraite anticipée et reconverti en chauffeur de taxi à la suite d’une mauvaise blessure à l’œil lors d’un combat.

L’ambiance est en tous points typique du film noir : une action intégralement de nuit (dans les rues, les bars, sur le port) donnant au film son aspect onirique inquiétant, un antihéros au fond du trou et au summum de la frustration et de la rage (non contenue!), deux femmes fatales (la garce, aigrie et arriviste, et la chic fille) qui vont lui attirer des ennuis, et bien sûr les durs à cuire (tous des brutes !) auxquels l’homme ordinaire sera confronté pour se sortir du piège dans lequel il est tombé, retrouver la lumière et l’estime de lui. On retrouve d'ailleurs ce même schéma de l’homme ordinaire confronté à une organisation dans Kansas City Confidential et bien sûr dans l'excellent Nightfall de Tourneur)


Outre John Payne, le casting est très réussi avec ses gueules de durs typiques des films noirs de Karlson (cf. Les frères Rico ou Le quatrième homme dans lequel on trouve Lee Van Cleef notamment), et surtout, surtout avec Evelyn Keyes, au physique pas forcément accrocheur de premier abord mais au tempérament bien marqué et qui fait ici deux sacrés numéros, qu’il s’agisse de se battre pour un rôle de théâtre ou bien de faire du charme, ou plutôt du rentre-dedans (scène mémorable) auprès du bad guy pour pouvoir l’entourlouper (elle use notamment de la cigarette de manière encore plus sexuellement explicite que Lana Turner dans Le facteur sonne toujours deux fois, ce qui n’est pas un mince exploit.. mais que faisait la censure !).

Peggie Castle est la seconde contribution féminine au film et apporte un supplément glamour (le réalisateur ne se privant pas d'ailleurs de quelques plans sexy, limite racoleurs, sur les jambes de la belle notamment) bienvenu dans ce monde de brutes et de baffes !
Des baffes, Payne va commencer par s'en prendre, au propre comme au figuré, mais pas de chance pour les salauds, en tant qu'ex-boxeur écarté prématurément du ring et de la gloire (qui lui échappa injustement), il en a des lots à revendre.. trop c'est trop, ça va barder (comme disait Eddie Constantine). Fallait pas l'emmerder.

En résumé : un film noir de toute beauté à classer dans les meilleurs représentants du genre, ni plus ni moins. Bravo Mr Karlson, je n'oublierai plus votre nom désormais.