jeudi 20 mars 2014

Kiss the blood off my hands « Les amants traqués” (1948, de Norman Foster)

Kiss the blood off my hands
« Les amants traqués” (1948, de Norman Foster)




"Kiss the blood off my hands", quel formidable titre de film !

Ce film est l’occasion de voir pour l’unique fois à l’écran un couple magique, en tous cas sur le papier: Burt Lancaster + Joan Fontaine. Deux légendes mais surtout deux tempéraments à l’écran que tout oppose à priori.

Mais qu’en est-il réellement ?

Avant tout il faut signaler que le réalisateur Norman Foster (Rachel et l’étranger) offre un rôle très intéressant à Joan Fontaine pour l’une des deux incursions de l’actrice dans le genre du film noir (avant Beyond a reasonnable doubt de Fritz Lang).
Si elle incarne une nouvelle fois une jeune femme fragile et quelque-peu vieille fille (et qu’on imagine plutôt frustrée sexuellement), contre-pied totale à la femme fatale, son personnage évolue progressivement au cours du film.
Elle est tout d’abord effrayé par l’irruption chez elle en pleine nuit d’un Burt Lancaster animal (et forcément inquiétant). Craintive, elle ne fait pourtant rien pour prévenir la police et le laisse passer la nuit chez elle, ce qui dénote un certain anticonformisme et/ou une âme particulièrement charitable. Celui-ci, reconnaissant, et sans doute attiré par la jeune femme, cherchera dès lors à la revoir.
Au fil de leurs nouvelles rencontres, tiraillée entre la crainte et la séduction, elle lâchera prise progressivement au fil de leurs nouvelles rencontres, cédant à ses pulsions sexuelles/amoureuses, au point d’être finalement prête à tout quitter pour le suivre sur un bateau en partance pour l’autre bout du monde. La rédemption par l’amour pour l’un et l’autre.

Le contraste entre la fragilité de Joan et la brutalité animale de Burt Lancaster est saisissant. Et de fait, l’alchimie de ce couple inédit fonctionne à merveille.
Lancaster excelle dans ce type de rôle ambigüe (c’était le cas par exemple dans Sorry Wrong Number face à Barbara Stanwyck), dans lequel on s’interrogeait sur sa dualité : tantôt avenant et charmeur, attirant naturellement la sympathie ; tantôt sanguin, inquiétant et incontrôlable. Incontrôlable c’est bien le cas ici tant le moindre antagonisme, la moindre contrariété ou situation conflictuelle le met hors de lui. Comme cet épisode dans le train où un passager qu’il a réussit à faire jouer et parier lui refuse une seconde partie après avoir gagné, le laissant de fait avec ses pertes. Mais quand on contrarie Burt, ça cogne sec ... Un (gros) côté Hulk avant l’heure, attention, il ne faut pas le chercher Burt, sinon il part en sucette! C’est bien de la rage qu’il semble avoir en lui, et l’on sent en lui tout le poids d’un passé douloureux dans ce comportement névrotique.



Côté ambiance, l’action se passe dans un Londres poisseux et lugubre. La photographie très sombre ne laisse planer aucun doute, on est bien dans un film noir.

La nuit et la brume enrobent les rues obscures et angoissantes. Les intérieurs peu attrayants et peu ou pas du tout éclairés. On s’y faufile par effraction ou on s’y cache (dans une pièce ou derrière un escalier.. il y a d’ailleurs une scène identique à une scène de Mark Dixon Detective). Les attitudes et jeux de cache-cache de Burt Lancaster avec la police rappellent d’ailleurs beaucoup Dana Andrews dans le film de Preminger. Les deux personnages ont d’ailleurs en commun la même brutalité instinctive et la même incapacité à retenir leurs coups, ce qui n’est jamais sans conséquence. Ce sont des individus en marge, l’un est un ancien soldat (et ancien prisonnier de camp allemand), sans doute abimé par les épreuves de la guerre, solitaire et inadapté social (on apprendra qu’il a fuit toute sa vie) qui ne trouve pas sa place dans le monde d’après guerre, l’autre est un flic violent, toujours sur la brèche, et en bisbille avec son patron.

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Et c’est d’ailleurs sur un même postulat que l’intrigue commence : un coup de poing qui part un peu trop vite et une mort accidentelle.
De fait, la diligence de Burt Lancaster à donner du coup de poing lui cause beaucoup d’ennuis et il n’y a que Joan Fontaine pour lui apporter un peu de répit, notamment dans une très belle scène romantique. Elle lui trouve même un travail après sa sortie de prison après qu’il se soit fait arrêter. Mais entre la police et un maître chanteur qui tente de l’écarter du droit chemin en l’obligeant à voler des produits pharmaceutiques pour les écouler sur le marché noir, le répit est de courte durée.

Si quelques artifices de mise en scène m’ont paru quelque-peu grossiers (comme la scène du zoo qui met Lancaster dans tous ses états, parce qu’il ne supporte pas de voir d’ « autres » fauves en cage), et certains personnages stéréotypés et faciles (le maitre chanteur), cela n’est pas préjudiciable au plaisir du film. Car l’ambiance noire, proche du réalisme poétique et de son fatalisme, est réussie et le rythme plutôt haletant, allant même en s’accélérant à mesure de la fuite en avant de cet antihéros à la dérive dont la naïveté et les maladresses font prédire une fin funeste. A moins que…


Allez, comme j’aime bien citer en référence d’autres films, je rajouterai que cette fin en forme fuite en avant m’a fait penser à la fin de Carlito’s way/ L’impasse de De Palma. Le héros, sans cesse sur ses gardes, tente désespérément d’accéder à son idéal (partir avec la femme qu’il aime et trouver enfin le repos). Mais pour s’en sortir il doit s’extraire au préalable des différents obstacles mis sur sa route et échapper au sort funeste qui lui semble promis.

A signaler que la bande-originale est signée Miklós Rózsa, célèbre compositeur hongrois connue ses musiques de péplums (dont celle de Ben-Hur, Le Roi des rois, Le Cid) ou de film noir (Assurance sur la mort, Les Tueurs) et pour des cinéastes de premier ordre comme Fritz Lang, Hitchcock, Billy Wilder.

samedi 8 mars 2014

Samedi soir et dimanche matin (1960, de Karel Reisz)

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Samedi soir, dimanche matin.. No Future

"Il me reste un peu d'agressivité, pas comme certains"

Avant les punks et avant les Beatles, il y eu donc en Grande-Bretagne les « Jeunes gens en colère ».
Pas un groupe de rock mais une expression de l'époque pour désigner l'état d'esprit de certains jeunes britanniques (auteurs, romanciers ou même acteurs tels que Harold Pinter, Alan Bates ou Peter Shaffer, et par extrapolation des individus dont ils faisaient échos).
Le terme de "jeunes gens en colère" provient de la pièce de John Osborne, La Paix du dimanche "Look Back In Anger" (fan d'Oasis, si tu m'entends), qui connut un gros succès en 1956 et dont le personnage principal est un déclassé social "volontaire". Un film du même titre (Les corps sauvages en français) avec Richard Burton fut réalisé en 1959.

Plus globalement le mot évoque surtout le désenchantement de la Grande-Bretagne d'après-guerre. Comme un écho à la beat generation américaine (elle-même influencé par l'Europe, en particulier Céline).

Albert Finney (dont c'est pratiquement le premier film) incarne ici Arthur, un jeune ouvrier trop conscient de sa condition social et de ses maigres perspectives d'avenir. Pas vraiment communiste (même s'il vote communiste), un peu anarchiste et petit con immoral, mais surtout plein de colère. Pour oublier sa frustration, il se pinte jusqu'à plus soif le samedi soir, taquine les mégères (à l'usine avec un rat crevé ou dans son quartier en tirant à la carabine à plomb sur sa voisine un peu trop commère à son goût) ou s'envoie en l'air avec la femme d'un collègue..

"On se marie et avant qu'on ait réalisé, on crève".

Un (tout) petit air de Rebel without a cause (mais Finney ne fait jamais dans les envolées colériques ou pleurnichardes de James Dean) donc, excepté que l'anti-héros est ici un jeune adulte issu de la classe prolétaire qui a déjà gouté suffisamment à l'avenir qui l'attendait (usine toute la semaine, pub le samedi et le dimanche). Un personnage plutôt antipathique mais le talent d'Albert Finney aidant, on finit tout de même par s'y attacher.
La figure du père est tout autant égratignée. Ici, celui-ci passe ses soirées devant la télévision et n'écoute même pas les sarcasmes de son fils travaillant à la même usine, tant il est hypnotisé par la télévision.

La dernière image est laissé à l'appréciation de chacun : renoncement ou maturité..

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Don't Look Back in Anger!

Ce film constitue l'un des porte-drapeaux du "Free Cinema" anglais qui précéda (ou coïncida) avec les débuts de la nouvelle vague française. Il y a d'ailleurs ici un petit côté Chabrol des débuts il me semble (je pense au beau serge notamment), à la croisée d'un cinéma réaliste ou abrupt et du mélodrame (je pense aussi à Une place au soleil). On se situe de fait dans un entre-deux nostalgique et désabusé loin de l'idéalisme de la période précédente.

L'occasion aussi de découvrir ou se remémorer l'Angleterre d'avant celle que tout le monde connaît (le swinging London, les beatles , deep end, etc). Un monde entre deux époques fortement représentées : la guerre et les sixties. On peut se dire aussi que c'est la vie dont se sont échappés John Lennon et Paul McCartney, pour ne citer qu'eux.

Samedi soir, dimanche matin était d'abord le premier roman d'Alan Sillitoe (La Solitude du coureur de fond ), dont le père était lui-même ouvrier. Pour ceux que ça intéresse (et bilingue), voici un article paru à sa mort.

Karel Reisz, réalisateur britannique d'origine tchécoslovaque, fit également Le Flambeur (1974) avec James Caan, et La Maîtresse du lieutenant français (1981).
La belle Shirley Anne Field qui incarne la petite amie d'Arthur joua dans de nombreux films (dont My Beautiful Laundrette, The Damned et Alfie) ainsi que dans.. Santa Barbara!

Quant à Albert Finney...

Hommes sans loi « King of the underworld » (1939) de Lewis Seiler

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Hommes sans loi « King of the underworld » (1939) de Lewis Seiler

L’argument :
Un chirurgien est tué lors d'un assaut de police contre la bande de gangsters avec laquelle il s'était peu à peu lié, arrondissant ainsi ses fins de mois en soignant les blessés réguliers. Sa femme (Kay Francis), docteur également, est accusée par un procureur arriviste et populiste de faire partie de la bande et doit dès lors se disculper.

Voici le premier film noir comique à l’insu de son plein gré !

Le « King of the underworld », c’est ce que prétend être Bogart/Joe Gurney dans ce film. En fait, un truand fasciné par Napoléon, le citant à chaque fois qu’il en a l’occasion pour justifier chacune de ses actions ou avant d’abattre un type. Au point qu’il s’imagine le titre de « Napoleon of crime » lorsqu’il engage un journaliste au chômage pour être son biographe (joué par le très bon James Stephenson, acteur décédé prématurément à l’aube de la notoriété). Ce dernier ne manque pas d'ailleurs de s'amuser de la mégalomanie et de la fin inéluctable qu'il promet au caïd.

Bogart arrive à jouer un personnage un peu stupide et ridicule sur les bords tout en étant suffisamment charismatique pour être crédible en chef de bande mafieuse. On est en 1939 et l’acteur n’est pas encore tout à fait la grande star qu’il s’apprête à devenir.. mais il n’en a jamais été aussi près et ce rôle (proche du Duke Mantee de Petrified Forest) devait lui permettre d’accroître encore sa notoriété bien qu'il ne soit pas à la hauteur du talent de l'acteur. Les choses ne vont pas tarder à changer.

A l’inverse, Kay Francis termine avec ce film SA grande décennie. Elle a 34 ans et son étoile déjà pâlie. Les temps changent.
L’un comme l’autre s’apprêtent à changer de statut à l’aube de la décennie suivante. Deux trajectoires inverses..

Bien que plaisant à regarder, le problème de ce film (ou l'intérêt, selon votre humeur) est qu’il frôle souvent le ridicule (circonstances peu crédibles, scènes ridicules, personnage ridicule), ou même y tombe les deux pieds dedans.



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A ce titre, la dernière séquence est savoureuse. Je vous la décrit : pour faire arrêter Bogart/Joe Gurney et sa bande et par la même occasion se disculpée vis-à-vis de l'ordre des médecins, Kay Francis fait croire que Bogart va devenir aveugle si elle ne lui verse pas dans les yeux un sérum de sa préparation, ainsi qu’à sa bande qui pourrait être contaminée. Méfiant, Bogart demande à ce qu’elle fasse un essai sur le romancier qu’il a embauché pour écrire ses mémoires, puis accepte. Au bout de quelques minutes, toute la bande devient aveugle et Kay Francis tente de s’échapper avec le romancier pendant que la police (qu’elle a préalablement fait appeler) arrive. S’en suit un jeu du chat et la souris avec un Bogart hargneux mais aveugle, tirant partout et avançant comme un somnambule, se cognant en pourchassant la docteur et son romancier biographe dans la maison, alors que la police intervient..

Hommes sans loi est une sorte de remake de Dr. Socrates que William Dieterle réalisa en 1935 avec Paul Muni et Ann Dvorak. Film que je n’ai pas vu mais qui est peut-être meilleur.. à deux exceptions près : il n'y a ni Bogart ni Kay Francis!

jeudi 6 mars 2014

La légion noire "The black legion" (1937, d’Archie Mayo)

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A la frontière du mélodrame social, du futur film de propagande et du film noir, The black legion d’Archie Mayo (1937) semble tout à la fois une œuvre ayant pour ambition de réveiller les américains face au péril nazi, sans toutefois pouvoir ouvertement en parler compte tenu de la neutralité du pays, et une auto-critique de la démocratie américaine pas exempte de déviances fascistes (le Ku Klux Klan est en ligne de mire, même s’il n’est pas nommé, on reconnait facilement les costumes et cagoules typiques du clan).

Bogart incarne un ouvrier à l’usine et père de famille. Un américain moyen tout à fait normal donc jusqu’au jour où la promotion pour le poste de contremaître que ses amis lui prédisait lui passe sous le nez au profit d’un collègue d’origine polonaise.

Frustré et dépité, il n’en faut pas plus pour qu’il se laisse facilement embarqué dans un club très particulier sur la recommandation d’un autre ouvrier.

Il s’agit de légion noire à laquelle il se retrouve immédiatement à devoir prêter sermon d’allégeance. De fait il se retrouve propulsé immédiatement dans une spirale du pire, condamné à participer aux expéditions punitives contre les étrangers qui mangent le pain des américains et à exécuter les ordres des chefs de clan aveuglement. D’abord à son profit quand l’action vise à bruler la grange de son nouveau contremaitre et le chasser de l’état ou à donner des coups de fouets à un supérieur l’ayant pris en faute à l’usine où il effectue du recrutement pour le clan.

Sa femme s’aperçoit de son changement d’humeur et d’attitude et le quitte. Son meilleur ami tente de le sortir de ce mécanisme infernal mais se retrouve lui-même dans la ligne de mire du clan…

On imagine dès le début cette chute aux enfers et une possible volte-face ou une mort en forme de rédemption mais le film est baigné d’un pessimisme absolu mettant en cause la démocratie modèle américaine. Seul la figure inflexible du juge à la fin du film renvoie une image bienveillante des héritiers d’Abraham Lincoln.

A signaler que Edward G. Robinson était au départ envisagé pour le rôle mais compte tenu du sujet fut considéré comme trop peu "American looking" pour incarner un membre du Ku Klux Klan.. pardon de la légion noire!