Nobody Lives Forever (1946)
Réalisation : Jean NEGULESCO
Avec : John Garfield, Geraldine Fitzgerald (Gladys Halvorsen), Walter Brennan (Pop Gruber), Faye Emerson, George Coulouris (Doc Ganson), George Tobias (Al Doyle)
Breaking Good
On retrouve une nouvelle fois ici le personnage bien connu dans les film de l'immédiat après-guerre du vétéran de la seconde guerre mondiale qui revient chez lui et essaye tant bien que mal de reprendre sa vie d'avant et de s'acclimater aux nouvelles donnes.
Mais pour Nick Blake (John Garfield), la vie d'avant est celle d'un escroc. Un escroc renommé de surcroît, ancien gamin des quartiers pauvres de New-York, qui était arrivé au sommet de son "art" lorsque la guerre arriva.
L'originalité de l'histoire c'est que la guerre n'a pas endommagé psychologiquement le personnage joué par John Garfield (à l'instar de John Payne, amnésique dans THE CROOKED WAY, par exemple), elle l'a rendu plus scrupuleux, las et désireux de mener une vie normale.
Plus scrupuleux mais pas couillon non plus. Lorsqu'il arrive chez son ancienne copine (Faye Emerson, chanteuse qui semble être à la tête d'un night club à succès) pour récupérer l'argent qu'il lui avait confié avant son départ, celle-ci lui annonce qu'elle a tout perdu dans un mauvais placement et que le club qu'elle co-dirige ne lui appartient pas. Elle n'est (soit disant) que la représentante du patron (Robert Shayne), qui s'avère être en fait son nouveau jules. Nick ne se laisse pas faire et récupère son argent par la force.
John Garfield n'est pas James Cagney, et on pourra le trouver un peu tendre dans ce rôle de voyou. Cela ne l'empêche pas de corriger son ex juste après lui avoir roulé un patin. Cagney serait passé directement aux mandales, c'est là toute la différence.
Dégoûté, il part avec son pote Al (excellent George Tobias, vu dans Nous avons gagné ce soir, Rawhide, etc) pour Los Angeles où ils retrouvent un vieil ami, Pop Gruber (incarné par Walter Brennan), autre petit escroc des quartiers, qui survit en faisant les poches des poivrots. Mais Nick, dont la réputation d'escroc de grand talent et de Casanova n'est plus à faire, est immédiatement repéré par une bande locale dont le caïd, Doc Ganson (George Coulouris), est au creux de la vague et souhaite se refaire au plus vite en plumant "un pigeon". Il lui manque pour cela une mise de fond et une gueule avenante. A contre cœur, il demande à Pop de le mettre en relation avec Nick/Garfield pour lui proposer le coup : il s'agit d'arnaquer une jeune et riche veuve (Géraldine Fitzgerald) en lui vendant des actions fictives. Bien que d'abord très réticent à reprendre les affaires, Nick se laisse finalement convaincre.
Le hic c'est que Nick ne va pas tarder à tomber amoureux de la belle veuve, ce qui le met irrémédiablement en porte à faux vis à vis de ses associés qui attendent leur part du deal (30% durement négociés).
On ne sait trop comment mais l'ex de Nick (Faye Emerson) débarque à son tour et ne tarde pas à monter ses associés contre Nick pour se venger.
La guerre a tout changé. Nick le truand ne peut vivre éternellement...
Malgré une ou deux facilités (comme le retour inexpliqué d'Emerson), c'est un très bon script auquel le spectateur a droit. Il est signé du grand W.R. Burnett, écrivain à succès du roman noir (Little Caesar, Quand la ville dort, High Sierra) et scénariste, qui a travaillé notamment pour Huston, Walsh, Wellman (La ville abandonnée, High Sierra, La grande évasion, etc).
Burnett affirmait avoir forgé son style grâce à la lecture assidue des auteurs français : Honoré de Balzac, Prosper Mérimée, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant.
La photographie est signée Arthur Edeson, responsable en autres de celle du Faucon maltais ou de Casablanca. On retrouve d'ailleurs la même ambiance (très) brumeuse de l'épilogue de Casablanca. Le soucis c'est que cette photo passe mal dans l'état actuel de la copie assez délavée diffusée sur TCM. Au point qu'on distingue tout juste les personnages dans certains passages filmés dans le brouillard.
Un mot sur le casting qui est excellent, à commencer par Geraldine Fitzgerald (la veuve énamourée). Une femme très gracieuse, fragile et sensible, un peu naïve (mais jamais cruche). L'opposé de la femme fatale blonde et quelque-peu vulgaire incarnée par Faye Emerson. "She's a dish" comme dit George Tobias à John Garfield lorsqu'il l'aperçoit la première fois.
A titre d'anecdote, j'ai cherché en vain, car elle référencée au casting, la trop rare Virginia Patton (vous savez, la belle sœur de George Bailey dans It's a wonderfull life, vue également en jeune mariée dans la magnifique séquence de la curée du Passage du canyon).
Un mot enfin sur Walter Brennan : c'est un immense plaisir de le retrouver ici, une nouvelle fois dans le rôle du bon pote, à ceci prêt qu'il est beaucoup plus sobre (et surtout moins râleur et soupe au lait) que chez Ford ou Capra. C'est son personnage en fait qui fait (presque) tout le boulot dans le film, mais je n'en dirais pas plus pour pas gâcher. Lui et George Tobias (qui se fait passer pour le secrétaire particulier de Nick), sont les deux potes et complices d'un John Garfield qui, s'il n'est pas mémorable dans le rôle, s'en sort très bien. Il constitue un excellent compromis pour incarner à la fois le vilain garçon issu des quartiers et le romantique sensible, façon Gene Kelly, en voie de rédemption.
La mise en scène est fluide et le rythme enlevé. On ne s’ennuie pas un instant. Le spectateur voyage de New-York aux plages de Californie, a droit à de la romance (et notamment une longue séquence romantique -faisant penser à Elle et lui ou même Vertigo- dans une ancienne mission catholique, l'occasion d'évoquer des souvenirs d'ancien combattant d'Italie et d'insister sur le traumatisme de la guerre), du charme du suspense et un peu d'action. Néanmoins, on ne peut pas dire que la réalisation de Negulesco soit éblouissante ou remarquable. C'est impeccable mais toujours discret, sans grands effets.
Une autre séquence est particulièrement réussie: celle du combat de boxe auquel assistent Nick et la riche veuve. Alors que ce dernier se régale devant le spectacle, elle est assise en arrière plan, visiblement pas à sa place et mal à l'aise devant ce spectacle violent et populaire. En un plan, Negulesco suggère le fossé culturel qui sépare les deux amoureux. La scène suivante en rajoute néanmoins une couche en montrant Nick bricoler un avion en papier pour passer le temps devant un concert de Bach.
Au final, Nobody Lives Forever s'avère un très bon cru grâce à un excellent script et un casting impeccable.