samedi 19 décembre 2015

FILMS NOIRS, sans domicile fixe : Road House (1948)


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Road house / La Femme aux cigarettes (1948)


Réalisation : Jean Negulesco
Scénario : Edward Chodorov d'après une histoire de Margaret Gruen et Oscar Saul
Photographie : Joseph LaShelle
Avec : Ida Lupino (Lily), Richard Widmark (Jefty), Cornel Wilde (Pete), Celeste Holm


Tommy Udo never dies..

A la frontière du Canada, dans une petite ville qui se résume à un routier et ses allentours, le patron et potentat local est Jefty (Richard Widmark). Son ami d'enfance (Cornell Wilde) gère pour son compte le bar-restaurant-bowling. Mais tout se complique quand Jefty engage Lily Stevens comme chanteuse. Morgan voit son arrivée d'un mauvais oeil, et pousse Lily à partir, mais la jeune femme reste et grâce à elle, l'auberge trouve un nouveau souffle...

"Hey, you son of a gun"

Le mythique et effrayant Tommy Udo (rôle emblématique de Richard Widmark du Carrefour de la mort qui valu à l'acteur la reconnaissance et une nomintation aux Oscars) est bien caché derrière le sympathique pote "Jefty", patron d'un routier au début de Road House. Le film démarre lorsque celui-ci fait venir une chanteuse engagée pour attirer la clientèle du piano bar. Mais plus le film avance, plus on se rapproche du dénouement et plus Tommy Udo et son gloussement nerveux et sadique refont surface. Jusqu'au feu d'artifice final. Richard Widmark a déjà atteint une puissance de jeu supérieure faisant de son Jefty davantage que le sociopathe/psychopathe sadique auquel il était abonné, et créant un personnage complexe et imprévisible, tantôt jovial et magnanime, tantôt tyrannique et capricieux. Il est d'ailleurs presque "normal" (juste un peu tyranique sur les bords) jusqu'à ce qu'il découvre que Lily (Ida) le rejette au profit de Pete (Cornel Wilde) qui avait pourtant tout fait pour se débarasser d'elle (il l'a ramène même à la gare pour qu'elle reparte d'où elle venait) et se faisant prier avant d'accepter de lui donner des cours de bowling.
Il est délectable de voir Ida Lupino et Cornel Wilde jouer au chat et à la souris. En dépit de manières peu aimables, et sans doute aussi parce qu'il la rejette, elle est irrémédiablement attirée et finit par voir en lui une bouée de sauvetage, un échappatoire vers une autre vie après de longues années d'errance.
Pour lui, elle est l'occasion de relever la tête alors qu'il semble avoir renoncé à toute ambition, se contentant de gérer les affaires pour le compte de son patron.

Ida Lupino tient ici l'un des rôles les plus mémorables et sensuels de sa carrière.
Son visage est prématurément vieilli (elle a à peine trente ans) par une probable vie dissolue, trop de cigarettes et de scotch, mais c'est parfait pour ce rôle de baroudeuse à la fois fragile (l'actrice est sans doute l'une des plus petites et menues des années 40) et en même temps au caractère bien trempé, même endurcie. Avec elle on est constamment tiraillé par deux instincts : la protéger ou se cacher sous sa jupe. Ida Lupino c'est ça, une figure maternelle forte et une petite brindille qui semble devoir s'envoler au moindre coup de vent.
Jouant de cette ambivalence, le scénario la présente d'ailleurs comme une femme fatale typique de film noir, mystérieuse et provocante (le premier plan sur elle s'ouvre sur ses jambes posées sur le bureau) qui boit et fume beaucoup (et sacage les pianos en y posant ses cigarettes, formidable idée de mise en scène utilisé pour signifier le temps passé). Mais à la surprise des habitués du genre, son personnage devient progressivement une fille bien, loyale à l'homme qu'elle aime même lorsqu'il a des ennuis, et qui ne demande qu'à vivre une vie calme et rangée.

On ne peut la quitter des yeux dans la scene du lac lorsqu'elle improvise un bikini de bain à base de bouts de tissus et de foulards. Elle transforme au final un enième role cliché de chanteuse ringarde en quelque-chose d'unique et d'attachant. La sensualité qu'elle dégage doit autant à son physique qu'à sa voix grave si reconnaissable. Elle n'en a jamais aussi bien usé. Elle chante d'ailleurs avec sa propre voix pour la première fois ("One for My Baby And One More for the Road" sur une partition de Harold Arlen, paroles de Johnny Mercer), alors qu'elle était précemment doublée dans le très moyen The Man I Love (1947) notamment.

Cornel Wilde est impeccable dans son rôle d'homme quelque-peu résigné et bourru (quelque-chose de Mitchum) et a l'occasion lors d'une bagarre de montrer qu'il est également un acteur "physique".
Enfin, il y a le personnage joué par Celeste Holm, pour qui on a un peu de peine et qu'on aurait imaginé jalouse mais qui s'avère au final un personnage trop gentil et conciliant, du genre à se faire tirer dessus à la place du héros.

Road House est-il vraiment un film noir ou plutôt un drame ? On est en droit de ne pas le considérer comme un vrai film noir car on ne retrouve pas ici la totalité des éléments caractéristiques du genre. Le début du scénario pose pourtant les éléments, la femme fatale et deux hommes potentiellement en conflit pour le sexe et le pouvoir. Mais le scénario bifurque rapidement, s'éloignant des stéréotypes du genre même si la fatalité semble planer sur le destins des amoureux.
C'est une réalisation soignée de Jean Negulesco dont c'était ici le premier travail pour la Fox. Son approche psychologique des personnages est nuancée et délicate et c'est appréciable : on a jamais affaire à des caricatures de film noir mais à de vrais personnages complexes.

La photographie de LaShelle, l'un des meilleurs directeurs photo de l'époque (il gagna un Oscar en 1944 pour Laura et fut nominé régulièrement), raccroche le film au noir. Elle est impeccable, en particulier toute la séquence finale se déroulant de nuit dans la forêt.

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