« Les amants traqués” (1948, de Norman Foster)
"Kiss the blood off my hands", quel formidable titre de film !
Ce film est l’occasion de voir pour l’unique fois à l’écran un couple magique, en tous cas sur le papier: Burt Lancaster + Joan Fontaine. Deux légendes mais surtout deux tempéraments à l’écran que tout oppose à priori.
Mais qu’en est-il réellement ?
Avant tout il faut signaler que le réalisateur Norman Foster (Rachel et l’étranger) offre un rôle très intéressant à Joan Fontaine pour l’une des deux incursions de l’actrice dans le genre du film noir (avant Beyond a reasonnable doubt de Fritz Lang).
Si elle incarne une nouvelle fois une jeune femme fragile et quelque-peu vieille fille (et qu’on imagine plutôt frustrée sexuellement), contre-pied totale à la femme fatale, son personnage évolue progressivement au cours du film.
Elle est tout d’abord effrayé par l’irruption chez elle en pleine nuit d’un Burt Lancaster animal (et forcément inquiétant). Craintive, elle ne fait pourtant rien pour prévenir la police et le laisse passer la nuit chez elle, ce qui dénote un certain anticonformisme et/ou une âme particulièrement charitable. Celui-ci, reconnaissant, et sans doute attiré par la jeune femme, cherchera dès lors à la revoir.
Au fil de leurs nouvelles rencontres, tiraillée entre la crainte et la séduction, elle lâchera prise progressivement au fil de leurs nouvelles rencontres, cédant à ses pulsions sexuelles/amoureuses, au point d’être finalement prête à tout quitter pour le suivre sur un bateau en partance pour l’autre bout du monde. La rédemption par l’amour pour l’un et l’autre.
Le contraste entre la fragilité de Joan et la brutalité animale de Burt Lancaster est saisissant. Et de fait, l’alchimie de ce couple inédit fonctionne à merveille.
Lancaster excelle dans ce type de rôle ambigüe (c’était le cas par exemple dans Sorry Wrong Number face à Barbara Stanwyck), dans lequel on s’interrogeait sur sa dualité : tantôt avenant et charmeur, attirant naturellement la sympathie ; tantôt sanguin, inquiétant et incontrôlable. Incontrôlable c’est bien le cas ici tant le moindre antagonisme, la moindre contrariété ou situation conflictuelle le met hors de lui. Comme cet épisode dans le train où un passager qu’il a réussit à faire jouer et parier lui refuse une seconde partie après avoir gagné, le laissant de fait avec ses pertes. Mais quand on contrarie Burt, ça cogne sec ... Un (gros) côté Hulk avant l’heure, attention, il ne faut pas le chercher Burt, sinon il part en sucette! C’est bien de la rage qu’il semble avoir en lui, et l’on sent en lui tout le poids d’un passé douloureux dans ce comportement névrotique.
Côté ambiance, l’action se passe dans un Londres poisseux et lugubre. La photographie très sombre ne laisse planer aucun doute, on est bien dans un film noir.
La nuit et la brume enrobent les rues obscures et angoissantes. Les intérieurs peu attrayants et peu ou pas du tout éclairés. On s’y faufile par effraction ou on s’y cache (dans une pièce ou derrière un escalier.. il y a d’ailleurs une scène identique à une scène de Mark Dixon Detective). Les attitudes et jeux de cache-cache de Burt Lancaster avec la police rappellent d’ailleurs beaucoup Dana Andrews dans le film de Preminger. Les deux personnages ont d’ailleurs en commun la même brutalité instinctive et la même incapacité à retenir leurs coups, ce qui n’est jamais sans conséquence. Ce sont des individus en marge, l’un est un ancien soldat (et ancien prisonnier de camp allemand), sans doute abimé par les épreuves de la guerre, solitaire et inadapté social (on apprendra qu’il a fuit toute sa vie) qui ne trouve pas sa place dans le monde d’après guerre, l’autre est un flic violent, toujours sur la brèche, et en bisbille avec son patron.
Et c’est d’ailleurs sur un même postulat que l’intrigue commence : un coup de poing qui part un peu trop vite et une mort accidentelle.
De fait, la diligence de Burt Lancaster à donner du coup de poing lui cause beaucoup d’ennuis et il n’y a que Joan Fontaine pour lui apporter un peu de répit, notamment dans une très belle scène romantique. Elle lui trouve même un travail après sa sortie de prison après qu’il se soit fait arrêter. Mais entre la police et un maître chanteur qui tente de l’écarter du droit chemin en l’obligeant à voler des produits pharmaceutiques pour les écouler sur le marché noir, le répit est de courte durée.
Si quelques artifices de mise en scène m’ont paru quelque-peu grossiers (comme la scène du zoo qui met Lancaster dans tous ses états, parce qu’il ne supporte pas de voir d’ « autres » fauves en cage), et certains personnages stéréotypés et faciles (le maitre chanteur), cela n’est pas préjudiciable au plaisir du film. Car l’ambiance noire, proche du réalisme poétique et de son fatalisme, est réussie et le rythme plutôt haletant, allant même en s’accélérant à mesure de la fuite en avant de cet antihéros à la dérive dont la naïveté et les maladresses font prédire une fin funeste. A moins que…
Allez, comme j’aime bien citer en référence d’autres films, je rajouterai que cette fin en forme fuite en avant m’a fait penser à la fin de Carlito’s way/ L’impasse de De Palma. Le héros, sans cesse sur ses gardes, tente désespérément d’accéder à son idéal (partir avec la femme qu’il aime et trouver enfin le repos). Mais pour s’en sortir il doit s’extraire au préalable des différents obstacles mis sur sa route et échapper au sort funeste qui lui semble promis.
A signaler que la bande-originale est signée Miklós Rózsa, célèbre compositeur hongrois connue ses musiques de péplums (dont celle de Ben-Hur, Le Roi des rois, Le Cid) ou de film noir (Assurance sur la mort, Les Tueurs) et pour des cinéastes de premier ordre comme Fritz Lang, Hitchcock, Billy Wilder.
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