I Love Trouble (1948)
Réalisation : S. Sylvan Simon
Scénario : Roy Huggins
Avec : Franchot Tone, John Ireland, Janet Blair, Janis Carter, Adele Jergens
C'est un scénario de l'excellent Roy Huggins, auteur notamment de
Too Late for Tears / La tigresse (avec dieu Dan Duryea) et surtout de
Pushover avec Kim Novak que l'on vous propose ici.
A
l'origine, il s'agissait d'une nouvelle, The Double Take, publiée en
magazine. La Columbia en acheta les droits en 1948 et Huggins signa un
contrat avec le studio pour l'adapter et en faire un film qui
s’appellera donc
I Love Trouble,
titre pas forcement meilleur d'ailleurs. A partir de là, Huggins entra
dans l'industrie cinématographique en travaillant sous contrat en tant
que scénariste pour Columbia et pour RKO Pictures. En 1952, il mis en
scène lui-même son propre script
Hangman's Knot / Le relais de l'or maudit,
un western, plutôt faible de mémoire, avec Randolph Scott et Donna Reed
(dvd dispo). Mais c'est pour la télévision que Roy Huggins fera son
travail le plus illustre puisqu'il sera le créateur de la série
Maverick (avec James Garner et dans lequel Louise Fletcher fit ses débuts) et surtout surtout du
Fugitif,
l'une des plus illustres séries de tous les temps dans lequel sont
d'ailleurs combinés des éléments du film noir (un homme victime d'une
machination et de circonstances qui le dépassent) et même un peu du
western (l'errance d'un solitaire au cœur de l'Amérique).
Mais revenons à
I Love Trouble,
une autre histoire de machination crapuleuse, d'ailleurs. Le film met
en scène Franchot alias Tone Stuart Bailey, un détective de Los Angeles.
Petit aparté : le détective Stuart Bailey sera d'ailleurs repris dans
Girl on the Run / Le témoin dangereux réalisé par Richard L. Bare en 1958 ainsi que dans la série TV
77 Sunset Strip, toujours d'après un scénario de Roy Huggins.
L'argument :
Un
homme riche (le solide Tom Powers) engage Stuart Bailey, un détective
privé, pour enquêter sur le passé de son épouse. Le détective découvre
qu'elle a été danseuse et qu'elle a vécu dans sa ville natale avec un
acteur. Ce dernier est tué avant d'avoir pu parler à Stuart mais, avec
l'aide d'une danseuse, le détective apprend que l'épouse avait utilisé
les papiers dérobés à une amie pour entrer à l'université après qu'elle a
volé 40 000 $ dans le night club où elle travaillait. Stuart apprend
par la suite que le mari a tué son épouse quand il a découvert son passé
afin d'éviter un scandale et qu'il doit servir de bouc émissaire.On est ici totalement dans l'esprit et la tradition de Raymond Chandler et ce film fera inévitablement penser à
The big sleep / Le grand sommeil réalisé par Howard Hawks à peine deux ans auparavant ainsi qu'à
Murder, My Sweet,
l'autre Marlowe, avec Dick Powell. Même ambiance, même enquête d'un
détective de L.A. qui se trouve tour à tour manipulé et aux prises avec
de jolies filles. Et l'histoire est bien sûr bien alambiquée,
l'essentiel étant dans l'ambiance.
Contrairement à ce que l'on
pourrait penser, la comparaison entre Humphrey Bogart/Dick Powell/Philip
Marlowe et Franchot Tone/Stuart Bailey n'est pas du tout en défaveur de
Franchot Tone, bien au contraire. L'acteur y est extrêmement
convaincant en détective privé, y compris avec toutes ces dames qu'il
rencontre ou séduit au cours de l'enquête.
Tel Bogart avec Martha
Vickers et Dorothy Malone, Franchot Tone passe de fille en fille, au
point qu'on s'y perd un peu par moments : en premier lieu la très belle
Janet Blair (
My Sister Eileen) qui sort du lot, mais aussi Janis Carter (
Framed avec Glenn Ford, chroniqué ici), Adèle Jergens (vue notamment aux côté de Marilyn dans
Ladies of the Chorus),
Lynn Merrick, Claire Carleton, Roseanne Murray (on s'y perd d'ailleurs
un peu parmi toutes ces mauvaises filles plantureuses). Il y a aussi la
piquante Glenda Farrell (
Le Petit César, Lady for a Day) plutôt là pour apporter de la légèreté et son comique naturel au récit.
Franchot
Tone se révèle franchement à son aise dans le noir, lui qu'on avait
surtout vu dans des rôles romantiques et des comédies (il avait tout de
même déjà officié dans le genre, dans
Les mains qui tuent/Phantom Lady
de Siodmak en 1944). Il use quand il faut de son air coquin ou bien
fait des sous-entendus. Les dialogues sont gratinés, ce qui permet au
film de ne jamais être pesant. D'autant plus qu'il n'est pas le seul. Il
y a par exemple un passage surréaliste avec une serveuse loufoque
(Roseanne Murray) ou encore cet échange entre Curtis pointaint un
flingue vers Franchot Tone/Bailey et qui lui sort : “this is a gun in my
hand” ce à quoi Bailey répond nonchalamment : “yeah, I’ve seen one
before” (on se croirait dans La rivière rouge lors du concours de
tir..).
La
réalisation de S. Sylvan Simon est inspirée et souvent audacieuse. Le
réalisateur (mort prématurément trois ans plus tard après un nouveau
film avec Janet Blair sur un nouveau scénario de Roy Huggins,
The Fuller Brush Man) se montre très prometteur.
Outre
le beau travail sur les ombres grâce à la photo travaillée de Charles
Lawton Jr. (le visage d'une victime éclairée dans la nuit par les lueurs
du quai, par exemple), on a droit successivement à des plans suggestifs
(un meurtrier dont on ne voit que le revolver), de beaux split screens
lors des appels téléphoniques, des mouvements de caméra et des
panoramiques délicats.
De jolis plans aussi, comme ce moment où
Franchot Tone se réveille sous un lit (où il s'était caché exténué) avec
deux chaussures à talon de femmes sous le nez, superbe idée de mise en
scène.
A noter également quelques effets "spéciaux" originaux, comme
l'effet tourbillon de l'image pour renforcer l'étourdissement de
Franchot Tone lorsqu'il est estourbi un John Ireland alias Reno assisté -
excusez du peu - par Raymond Burr l'homme de fer en personne.. un peu
too much pour le frêle Franchot Tone!
Le film n'est pas que léger loin de là et quand ça cogne, ça cogne dur. Comme dans les meilleurs noirs.
L'image
est en triste état et je ne sais pas si on aura droit à un dvd restauré
(je dis bien restauré) un jour. Mais c'est le cas de tellement
d'autres, comme
Pitfall (1948, de Toth avec Dick Powell et Lizabeth Scott),
Fear in the Night (1947, dispo en DVD mais non restauré,
Le Maître du gang / The Undercover Man (Glenn Ford, un dvd tout juste correct),
Impact (1949, de Lubin avec la garce Helen Walker),
The Gangster (1947, avec Barry Sullivan), et donc
Too Late for Tears (Dan Duryea et aussi Arthur Kennedy) attendent également leur tour...