Depuis le temps qu'on parlait de ce film sans l'avoir vu (et ce n'est pas un soucis pour moi tant que l'on parle de prix supposés, des relations entre les protagonistes du tournage, des acteurs, mais qu'on ne porte pas de jugement à l'avance sur l’œuvre), je peux enfin passer au chapitre 2 et bel et bien parler du film que j'ai donc vu aujourd'hui même après tant d'attente et de mauvaises augures.
Contrairement à ce que l'on pouvait craindre, dès les premières images, les polémiques sont oubliées et l'on a plus d'yeux que pour Adèle, ses chagrins, ses doutes, ses joies et ses douleurs..
Première chose : La vie d'Adèle est bel et bien une œuvre en deux parties, la première beaucoup plus enthousiasmante et prenante que la seconde d'ailleurs, ayant effectivement regardé pour la première fois ma montre au bout de deux heures et quart, ressentant à ce moment là comme un coup de mou, une forte baisse d'intensité, avec des scènes que je ne qualifierai pas d'inutiles mais de non indispensables, en particulier toute la partie "institutrice".
Ces deux premières heures sont donc très fortes et contiennent des moments très intenses au point que l'on croit éprouver tous les tourments intérieures de cette jeune fille qui se cherche tant émotionnellement que sexuellement.
Je préviens que je continue mon propos avec quelques éléments révélant le récit en italique, même si on est pas dans un thriller à tiroirs, donc je ne révèle rien de transcendant sur l'histoire..
Le film m'a surpris dans la mesure où je m'attendais aux passages inévitables jusqu'à présent dans tous les films traitant au premier plan de l'homosexualité : le coming out, le rejet (ou non) par les proches, les réactions des parents etc. Il y a bien sur la scène très forte de la cour de récréation (en partie vue et re-revue dans la bande-annonce d'ailleurs ce qui est un peu dommage), mais finalement Kechiche décide de s'arrêter là et de ne pas creuser dans ces sillons vus et revus. On ne verra donc plus les "faux amis" homophobes. C'est dit, c'est fait, on passe à autre chose.
Et c'est là l'une des grandes forces du film justement, de traiter cette histoire d'amour homosexuelle presque comme une histoire d'amour classique. Du coup, je vois bien les reproches de certains qui diront que cette histoire somme toute banale, traitée avec un couple hétérosexuel, n'aurait eu aucun intérêt. Mais le fait est que oui, c'est une histoire d'amour homosexuelle et que lui enlever ça lui enlèverait toute sa substance.
Dans cette première partie, Adèle ado se cherche, se révèle a elle-même puis passe par l'initiation et la découverte.
Adèle Exarchopoulos crève l'écran.
C'est LA révélation de l'année et la fille la plus sensuelle que j'ai vu dans le cinéma français depuis des lustres (avec également Déborah François dans un tout autre genre, plus subtile mais certainement moins nature). Je lui prédit une grande carrière si d'autres réalisateurs lui offre à terme autant d'attention et l'occasion d'élargir son répertoire dans des rôles de femme plus mûre ou plus éloignée de sa personnalité.
Pourtant une certaine vulgarité lors de ces interviews m'avait fait un peu peur, mais cet aspect apparaît nettement moins dans le film et passe quoiqu'il en soit au second plan derrière son jeu plein de nuances. D'aucuns pourront trouver qu'elle pleure beaucoup. Il suffit pourtant d'avoir un peu d'empathie et quelques souvenirs des tourments de la vie adolescente pour le comprendre. Et puis il n'y a pas que cela, loin de là. Le désir féminin exprimé comme rarement, la colère, la timidité, l'innocence, l'hésitation, la tristesse, tout y passe filmé en gros plan par un Kechiche amoureux.
Face à ce festival de sentiments exacerbés, Léa Seydoux tient une partition moins étendue mais compose tout de même un caractère intéressant de pygmalion plus sûr d'elle-même et de ce qu'elle veut, et plus mature. C'est aussi sur elle tout entière que repose le postulat d'homosexualité.
Je poursuit par l'évocation des scènes chez les parents d'Adèle dans lesquelles j'ai ressenti beaucoup d'ironie de la part de Kechiche sur cette famille de français moyens quelque-peu conservateurs. En outre, la scène de repas familial filmée en gros plan est assez déconcertante au premier abord, faisant par moments ressembler Adèle à Jacquouille la Fripouille, léchant son couteau, mâchant les spaghettis, s'essuyant la bouche avec les mains ... ces spaghettis qui reviennent d'ailleurs un peu plus tard, lorsqu'Adèle reçoit dans son propre appartement, comme pour mieux évoquer le poids de l'éducation familiale.
Adèle a beau s'élever par ses lectures et ses rencontres, elle n'en reste pas moins marquée par son milieu d'origine et ses mauvaises manières..
Puis vient la séquence de présentation d'Emma aux parents d'Adèle qui ne voient pas ce qu'ils ne veulent pas voir. Très réussie et plutôt réaliste, cette description féroce manque un peu de la tendresse que l'on peut trouver chez d'autres cinéastes (chez Michel Leclerc ou Anne Le Ny par exemple). Kechiche est parfois sans pitié. Cette fameuse scène de présentation répond à la même scène, étonnante, chez les parents d'Emma où la "situation" est gérée à l'opposé, avec un naturel confondant.
Il y a aussi les scènes de sexe.
Trois et demie (en tout je dirai) et je me suis interrogé sur l’intérêt de leur longueur et surtout de leur répétition. Bien sûr, ce n'est pas désagréable à regarder, les corps sont beaux et rien n'est "trash" bien au contraire donc je ne vais pas me plaindre.. Des scènes où l'on entend plus aucun bruit dans la salle, que les cris de gémissement d'Adèle et de Léa (pardon d'Emma), et où l'on se sent un peu comme dans une salle de cinéma porno (enfin, j'imagine!) au point d'avoir un peu envie de rire de cette situation.
Cette répétition n'apporte rien au récit sinon une impression de continuité, la vie passant, les années mêmes, ponctuées par des nuits d'amour, des manifs étudiantes (ironie de nouveau ?) et de jours d'école (volontairement étonnants par leur normalité)..
A la fin de la projection, j'ai tendue l'oreille et trois femmes d'âge moyen évoquaient ces scènes de sexe en disant que c'est la première fois qu'elles voyaient des scènes de sexe féminin. Étonnant d'entendre ça en 2013 finalement et du coup je comprends mieux l'intérêt de ces scènes très crues.
Filmé sans érotisme exacerbé mais absolument sans rien nous cacher (nous épargner diront les puritains), elles banalisent totalement l'acte homosexuel en question, stoppant tout fantasme de perversité. En cela La vie d'Adèle est un film d'utilité publique.
Loin de m'avoir submergé d'émotion comme on peut le lire ici ou là, je suis donc très content d'avoir vu ce film, d'avoir découvert une superbe actrice en devenir, encore juvénile mais belle et sensuelle comme on aimerait en voir bien plus dans le cinéma français. Un peu long (3h) peut-être, au regard de ce qu'il raconte, mais cette longueur est surement partie prenante du naturalisme essentiel au propos et à la force d'une œuvre marquante.
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