jeudi 3 octobre 2013

La vie domestique (Isabelle Czajka, 2013)

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La vie domestique (2013)

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Ce film, dans sa grande simplicité scénaristique, est pourtant étonnant. Car rarement au cinéma j'avais ressenti à ce point la réalité quotidienne de notre époque, au point que j'eus devant ce film la très nette impression d'observer la vie domestique des français de 2013. Plus précisément, celle de couples quadragénaires des classes moyennes supérieures de la banlieue parisienne.
A titre personnel, je dois dire que ce sentiment a été renforcé à double titre par le fait que des amis vivent précisément sur les lieux mêmes du tournage (Marne La vallée, Pontault-Combault, Roissy en Brie) et que j'ai découvert avec effarement une scène se passant dans mon propre lycée, celui dans lequel j'ai fait mes études il y a presque 25 ans! Quel choc quand le cinéma et la vie personnelle s'entrecroisent ainsi.. les décors sont volontairement à la fois passe-partout et proches de chacun, et c'était à n'en pas douter le souhait et le pari de la réalisatrice.

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Si ces extérieurs sont pour tous français particulièrement familiers (parcs, aires de jeux, entrées d'écoles et centres commerciaux), il en va de même des intérieurs. Car ceux-ci se ressemblent presque tous comme semble nous le dire Isabelle Czajka, entre Roche & Bobois et Ikea, écrans plats et grandes baies vitrées, électroménager dernier cri (voir le clin d’œil acerbe et drôle sur le café en capsules), murs sans âme et décoration minimaliste.

S’occuper des enfants, faire les courses, organiser un dîner et autant de taches quotidiennes invisibles.. Isabelle Czajka décrit une journée type d'une femme au foyer (et partiellement de ses voisines) avec un oeil particulièrement acéré, parfois moqueur (les scènes sur le canapé), parfois un peu désabusé mais sans jamais tomber dans la facilité ou le jugement. Elle filme ces femmes comme elle filme la France, sans se voiler les yeux et sans complaisance devant les médiocrités des uns et des autres.

D'emblée, la première scène, un dîner semi-professionnel à la fois très drôle et féroce, emporte l'adhésion et nous situe immédiatement dans l'époque. Si dans 50 ans on voudra se rendre compte comment vivaient et pensaient les gens des années 2010, ce film sera sans aucun doute un document historique d'une grande valeur. Car il ne se passe rien d'extraordinaire ici. Juste la morne et simple réalité d'une journée ordinaire de personnes ordinaires.

Unité de lieu et de temps sur 24 heures, c'est peut-être là du coup la seule limite du film, ce manque total de fiction et le sentiment d'être Big Brother, d'observer, bien assis dans son fauteuil, ses congénères avec curiosité et un peu avec horreur et tristesse.

On se reconnait, on reconnait ses proches, on juge, on compatit devant le miroir que tend la réalisatrice sur la France contemporaine.
Certaines séries (Fais pas ci, fais pas ça) ou téléfilms essayent souvent de décrire cette réalité mais de façon grossière et avec une obligation comique déformante. Ici tout semble plus vrai que vrai. Ce qui est absolument étonnant est que La Vie domestique est tirée du roman anglais Arlington Park de Rachel Cusk. Et l'on se demande avec étonnement et peut-être un peu de tristesse comment l'adaptation d'un roman étranger peut donner lieu à un film aussi proche de nous..

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Emmanuelle Devos, Julie Ferrier, Natacha Régnier et Helena Noguerra, toutes très justes forment les différentes facettes de la femme au foyer (entre lucidité, complexes d'infériorité, un certain "bonheur" et des souhaits d'activités plus valorisantes).
A ce quatuor, il faut ajouter la grand-mère incarnée par une Marie-Christine Barrault absolument formidable dans une scène qui permet d'élargir le tableau et de donner de l'ampleur au propos. Il manque peut-être quelques femmes actives ici pour que le portrait de la bourgeoise moderne soit encore plus complet et plus juste mais cela aurait sans doute nuit à la thématique du film.

Du côté des hommes, qui en prennent pour leur grade, c'est Laurent Poitrenaux qui incarne avec finesse les petites lâchetés, les maladresses blessantes et les facilités de l'homme actif fasse aux préoccupations conjugales et familiales. La scène finale répondant à la première et le film se clôturant sur un plan du visage éteint d'Emmanuelle Devos après une journée remplie d'espoirs déçus, de déceptions, de paroles blessantes et de petites humiliations..

Un grand film sur la France contemporaine.

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