dimanche 30 novembre 2014

La dame et le toréador / Bullfighter and the Lady (Budd Boetticher, 1951)


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Johnny Regan, un touriste americain, assiste a Mexico à sa première corrida et tombe amoureux du spectacle. A l'issue de la manifestation, il se fait inviter a la table du torero Manolo Estrada, un célèbre matador vieillissant. Il s'éprend d'Anita, fille d'un important éleveur de taureaux et promise depuis son plus jeune âge au torero blessé le jour même. Johnny et Manolo concluent un marché : Manolo l'initiera a la tauromachie, tandis qu'en échange Johnny (ancien champion de tir) lui donnera des cours de tir.


"Eh HEH, Toro"

La Dame et le Toréador (Bullfighter and the Lady) est un film dramatique américano-mexicain écrit et réalisé par Budd Boetticher, sorti en 1951 et pour lequel il obtint en 1952 une nomination à l'Oscar du scénario (remporté par Huston pour African Queen).

Un film qui ne serait qu'un simple cri d'amour à la tauromachie ne m’intéresserait pas du tout. Et heureusement, La dame et le toréador est bien plus que cela : un beau film d'amours doublé d'un parcours initiatique.

De ce film, je garde en tête en premier lieu de très belles images baignées dans une atmosphère intensément romantique et dramatique. Romantisme renforcé par une musique douce et enivrante.

Cependant, je déplore que Boetticher se soit trop attardée sur des séquences de corrida répétitives, filmées sans imagination et vues sous le prisme d'un spectateur qui serait tenu à distance, dans les gradins. Certains spectateurs pourront trouvé bien ennuyeuses ces scènes de face à face entre toréros, taureaux ou vachettes. Une approche documentaire sans aucun doute (le film est tourné sur place à Mexico City) qui peut laisser de marbre, pour ne pas dire plus. Le sujet même de la corrida, tant décrié à notre époque, en laissera certains en rade.

C'est bel et bien en dehors de l'arène que le film fonctionne, autour des personnages et non des taureaux. De fait, on pourra regretter que le temps accordé aux scènes de tauromachie se fasse au détriment des relations entre les protagonistes, traitées un peu rapidement et superficiellement à mon goût. Les sentiments amoureux entre Johnny et Anita sont tout juste effleurées et il faut une direction d'acteurs parfaite et la performance de Robert Stack et Joy Page pour convaincre en peu de temps de l'authenticité de leur amour naissant. Je veux pour exemple la rapidité à laquelle Anita change d'attitude à l'égard du gringo Johnny jugé jusqu'alors bien trop insistant à son goût.
Le film est en fait très pudique. Il est beaucoup question d'amour (sous diverses formes) mais ce n'est certainement pas le genre de Boetticher d'appuyer les sentiments et les démonstrations d'épanchement ou d'amour physique.

Cette histoire d'amour n'est d'ailleurs pas le sujet central. Elle participe seulement de l’épanouissement d'un homme dont l'âme est submergée par des attirances fulgurantes et entremêlées pour une femme, une culture inconnue et un sport-spectacle total. Une culture et des traditions bien définies, aux codes strictes (comme en témoigne la scène durant laquelle Johnny rentre en scène sans le costume traditionnel du toréador, au grand dam des aficionado).

Comprendre les motivations, les traits de caractères majeurs et la psychologie des personnages, leurs réactions surtout, c'est ce qui est intéressant dans un bon film.

Quelles sont les véritables mobiles de Johnny Regan ? Qui est-il ?
Comment savoir si cette soudaine passion n'est pas une simple "passade" de la part d'un jeune américain qui s'ennuie en voyage ou quelque-peu volage (il est à la fois ancien champion de tir et producteur de spectacles) ?
Ce n'est jamais totalement explicite. Johnny demande au début du film à Estrada de lui enseigner la tauromachie sans jamais justifier les raisons de sa demande.

Une pulsion morbide ?
Possible, mais l'hypothèse restera sans fondement. Johnny ne semble commencer vraiment à s’intéresser au spectacle de tauromachie auquel il assiste que lorsqu'un toréro se fait encorner.
L’adrénaline et la gloire des toréros devant un public en liesse ? Possible aussi.
Ou bien s'agit-il surtout par la suite d'impressionner (comme il le reconnait plus tard d'ailleurs) et de plaire à la belle Anita pour qui il vient manifestement de tomber amoureux ?

On ne saura finalement pas quelle est la motivation profonde de Johnny Regan, ni qui il est vraiment au début du film. Chacun interprétera donc avec son propre vécu.
Les choses ne sont jamais aussi simples comme semble vouloir nous dire le réalisateur pour qui ce film était très cher, dont il était très fier et qui racontait son histoire personnelle.
Regan c'est Budd Boetticher lui-même quand il était jeune. Sa vie bascula lorsqu'il assista à sa première corrida, alors qu'il était en voyage à Mexico City, et qu'il fut émerveillé par le spectacle proposé par Lorenzo Garza, grand matador de l'époque, et c'est Lorenzo Garza en personne qui pris en charge un temps son entrainement. Budd Boetticher (qui avait une très mauvaise relation avec ses parents) se cherchait comme beaucoup de jeunes hommes testant leurs propres limites ou même défiant la mort pour mieux se prouver qu'il sont vivants.

L'expérience à un prix et c'est ce que Johnny Regan va apprendre lorsqu'il sera confronté aux conséquences de ses actes et de son arrogance (arrogance au sens d'imprudence et de manque d'humilité face au danger, Johnny cherchant trop vite à faire "comme les grands",  à reproduire les gestes de matadors expérimentés).

Pour moi le plus beau moment du film est celui de la seconde rencontre entre Anita et Johnny, lorsqu'elle s'excuse de l'avoir un peu trop vite jugé et comprend qu'il est un étranger un peu maladroit qui s'intéresse à sa culture.
Cette fois Robert Stack est excellent (et disons très bien dirigé par Boetticher). Son sourire à ce moment précis est la première image qui me vient en tête quand je repense au film.

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De même, lors de la première représentation de Johnny avec des vachettes, la scène autour de l'arène est particulièrement réussie : on devine un homme terriblement exalté, qui se révèle à lui-même et qui est totalement emporté par les émotions et la passion qu'il découvre.
Anita est elle aussi totalement excitée à regarder ce jeune homme s'épanouir, emportée par un enthousiasme communicatif.
Le personnage de Katy Jurado / Chelo, digne et entièrement dévouée à l'amour de son homme est également formidable. Et ce en très peu de scènes. Elle incarne presque à elle seule (avec Joy Page) toute la fierté et la beauté d'un peuple.
Le couple qu'elle forme avec Gilbert Roland / Manolo Estrada est à l'image de la solidité des traditions de ce peuple. A la fois couple modèle, figures paternelles et maternelles et sources d'inspiration pour Anita et Johnny. Pour Boetticher qui à ce moment de sa vie a pratiquement fuit ses parents, ces figures très fortes ne sont pas anodines.
Il tourne un certain nombre de scènes d'"amour"en gros plan et c'est l'une des réussites du film. Et de fait, les expressions des visages sont éloquentes.
La mise en scène est parfois très élégante et fluide (travellings discrets) ou inspirée (plongée/contre-plongée écrasante sur Johnny après son erreur arrogante et mortelle).
D'autre part, il ne fait pas l'impasse sur la stupidité répandue parmi les aficionado, les esprits écervelés et avides de sang.

Je reviens sur la musique : très belle dans les scènes romantiques, elle souligne notamment la sérénité et la douceur des personnages féminins.

Au delà du monde de la corrida qui moi ne m'intéresse pas vous l'aurez compris (ne considérant aucun art dans la tauromachie), le plus intéressant est l'argument de ce jeune américain quelque peu impulsif, hardi et inconscient (pas un petit con mais presque, un grand "gamin" oui sans aucun doute), plongé dans un environnement, une culture et des mœurs étrangers. Et qui par ce biais apprends à devenir un homme.

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