jeudi 13 novembre 2014

Till We Meet Again / Voyage sans retour (1944, Borzage)

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Till We Meet Again (1944, Borzage)

La grande vadrouille selon Frank Borzage..

Le film commence dans un couvent en France occupée à la fin de la seconde guerre mondiale.
Les premières images sont celles d'un petit havre de paix (des nonnes, des colombes, des jeunes filles vêtues de blanc faisant leur prière dans un jardin en fleurs). Ambiance idyllique soudainement troublée par des coups de feux et une voix allemande criant : "Plus vite! Sales porcs !".

Un rapide plan sur des prisonniers déportés s'évadant sous les balles allemandes et la caméra revient sur sœur Clotilde qui continue comme si rien n'était ("i don't know, i don't want to know!") à s'occuper des jeunes filles dont elle a la charge.
Hurlements d'un côté, prière de l'autre. Borzage, terre de contrastes.

Le monde extérieur n'est alors qu'un ensemble de sons de guerre passant par intermittence par delà les murs du couvent.
Cette fausse tranquillité est troublée par la venue cordiale du Major Krupp venue prévenir la mère supérieure et obtenir sa parole qu'aucun prisonnier ne sera caché, puis par celle de John, un aviateur américain dont on doit organiser la fuite à partir de ce couvent..
A l'instar de Dieu seul le sait de Huston (film que j'adore), le film mettra en scène la fuite d'un soldat aidée par une nonne. Mais chez Borzage, c'est toujours un ton très particulier, au delà de la simple aventure.

L'aviateur américain est incarné par le célèbre acteur anglais Ray Milland (formidable notamment dans Le poison de Billy Wilder).

Le Major Krupp est incarné par l'acteur de théatre russe Konstantin Shayne. Vous le reconnaitrez peut-être si vous avez vu Les cinq secrets du désert de Billy Wilder dans lequel il tint un rôle similaire à celui-ci. Il est ici excellent dans ce rôle de l'allemand courtois mais totalement sûr de la supériorité du peuple allemand ("on en a jamais fini avec les allemands!"), admirant ses adversaires courageux mais méprisant les plus minables, à commencer par le maire collabo qui l'accompagne (Walter Slezak, lui aussi déjà collabo précédemment dans Vivre libre de Renoir). Comme quoi les rôles collent à la peau et on ne se prive jamais de réutiliser de bonnes têtes de l'emploi (c'est pas Richard Sammel abonné aux rôles d'allemand de nos jours qui vous dira le contraire)!

Quant à la sœur Clotilde, c'est Maureen O'hara qui a été choisi pour l'incarner. La comédienne fit six jours de tournage (qui débuta en octobre 1943) avant d'abandonner car enceinte. Borzage la remplace alors immédiatement par Barbara Britton, une quasi-inconnue (vue dans Les naufrageurs des mers du sud de De mille et déjà aux côtés de Ray Milland, plus tard dans J'ai tué Jesse James de Fuller). Si le spectateur est privé de la grande star Maureen O'hara, ce n'est aucunement préjudiciable au film car Barbara Britton, outre son visage angélique, est parfaite pour ce rôle de nonne ingénue et craintive d'une vingtaine d'années. Ingénue au point de demander naïvement au major (figure d'autorité pour elle) venue faire son enquête au couvent si "par hasard les vies des jeunes filles ne pourraient pas être sauvées si quelqu'un savait où se trouvait l'aviateur ?".

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Visuellement, Till We Meet Again est splendide. L'image est en grande partie l’œuvre de Theodor Sparkuhl, ancien collaborateur de Lubitsch durant sa période allemande. De fait, entre photographie splendide et par son scénario. Les thèmes de Borzage se retrouvent dans chacun de ses films, mais ici particulièrement on retrouve l'esprit de ses chef-d’œuvre du muet. Je pense notamment à Seventh Heaven, à sa dimension spirituelle et à son opposition systématique entre le Paradis et l'Enfer de la guerre (qu'il s'agisse des tranchées dans lequel est Charles Farrell ou de cette France occupée par les allemands). L'adieu aux armes n'est pas loin non plus.

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Outre la photo, il y a surtout de très belles scènes entre Barbara Britton et Ray Milland en fuite. Dans l'une d'entre elles, celui-ci parle avec éloquence du mariage et ce qu'il signifie pour lui. La douceur naturel de Milland sied parfaitement au rôle de ce soldat foncièrement gentil, figure masculine de confiance absolue pour cette femme qui s’était retirée du monde pour se protéger des hommes.

Davantage qu'une histoire d'amour classique, Till We Meet Again raconte l'épanouissement d'une femme qui s'était fermée au monde. Une femme qui apprend à faire confiance à un homme et donne alors tout jusqu'au sacrifice. Je ne saurai dire en revanche si l'amour non consommée des deux protagonistes était la volonté de Borzage ou celle du Breen office. Vraisemblablement l’œuvre de la censure. Cela ne change pas grand chose au film en fait. On est dans du pur Borzage, et si en général l'amour est consommé, c'est l'alliance des êtres qui importe.

Le film fut un échec. La faute notamment à une sortie trop tardive fin 1944. Les alliés avaient déjà débarqué. Et avec la guerre passée, Borzage et ses thèmes les plus chers n'étaient peut-être plus en phase avec les attentes du public.

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