In a world where Tony Curtis is not yet a legend..
Voici mon avis sur ce film noir tendance drame social (ou drame urbain comme vous préférez) très réussi et réalisé par Joseph Pevney (futur réalisateur de la série Star Trek, entre autres).
Dans LA POLICE ÉTAIT AU RENDEZ-VOUS, son drôle de titre français, on voit évoluer de l’adolescence à l’âge adulte, Jerry Florea, un gamin des rues entouré de sa bande de petits délinquants. Ces gamins peuvent faire penser à ceux que l’on suivra chez Leone 25 ans plus tard dans Il était une fois en Amérique, volant une bouteille de lait par-ci, tirant des fruits à l’étalage par là. Mêmes comportements, même solidarité fraternelle, même évolution du larcin vers le grand banditisme, à ceci près que le réalisateur ici ne s’attarde pas sur la misère et que le ton est bien plus léger. La raison principale en est la présence de Tony Curtis, qui livre ici l'une des meilleures prestations de sa carrière.
Jerry Florea est dans un premier temps incarné par Sal Mineo (dont on se souvient surtout du rôle d’ado torturé et délaissé auprès de James Dean et Natalie Wood dans La fureur de vivre tourné la même année) puis par le gamin du Bronx Tony Curtis. La transition est d’ailleurs étrange étant donné le peu de différence d’âge des deux acteurs. Un acteur plus jeune pour interpréter Jerry Florea enfant, ou même quelques effets de mise en scène pour rajeunir Tony Curtis durant la première séquence aurait peut-être été préférable pour plus de crédibilité. D’autant plus que le vieillissement de Gallagher / George Nader au cours du film est particulièrement réussi.
Ce thème de l’amitié entre un truand et un homme de bien, on l’a déjà vu auparavant, notamment dans Angels with dirty faces "Les Anges aux figures sales" (Curtiz, 1938) ou Manhattan Melodrama "L'Ennemi public n°1" (W.S. Van Dyke, sorti en 1934), par exemple.
L’amitié nait ici d’un incident : alors que Jerry et sa bande sont en train de cambrioler une boutique, le policier Edward Gallagher (George Nader) intervient, provoquant la fuite des gamins. Gallagher, un peu trop zélé, tire vers les fuyards touchant Jerry Florea alors qu’il grimpait une palissade pour s’enfuir. Ce dernier ne sera que blessé mais ne pourra jamais avoir d’enfant. Rongé par le remord et se sentant responsable, Gallagher prend alors le gamin en affection et tentera dès lors de lui éviter les ennuis et de le protéger. De son côté, Jerry semble nullement vindicatif envers le policier et joue petit à petit le rôle d’indic. Mais cette amitié naissante sera constamment entachée par une défiance du flic Gallagher envers le voyou Florea, incorrigible et perpétuel récidiviste.
Dès le départ, il semble acquis que de toutes façons, Florea ne sera jamais dans le droit chemin et ne sait que combiner, parce qu’il se croit plus malin et parce que la société ne l’a jamais accepté. Même quand, emprisonné, il demande à rejoindre l’armée pour combattre en Europe, sa demande lui est refusé car il n’est pas né en Amérique. Il est même menacé d’expulsion vers un pays ennemi (sans plus de précision) dont il est officiellement originaire et dont il ne parle même pas la langue.
La force du film tient dans l’interprétation nonchalante et goguenarde de Tony Curtis qui semble constamment en en porte-à-faux avec le sujet qui devrait, qui est dramatique. En effet il joue toutes ses scènes avec le sourire en coin et donne constamment l’impression de se moquer de ses interlocuteurs et en particulier bien sûr du flic Gallagher, constamment pris à contre-pied puisque dès qu’il prend une attitude cynique face aux perpétuels mensonges de Curtis/Florea, ce dernier trouve le moyen de le toucher. Comme cette scène ou Florea déclare au curé/pasteur venu au commissariat pour confirmer son alibi (Florea faisait un don à la paroisse pendant le hold-up dont il est accusé) que oui il a voulu se faire bien voir mais que c’était dans la perspective de son mariage avec une veuve mère de trois trois enfants. De fait, les deux hommes développent tout au long du film une relation symbiotique mais trouble. Un peu comme deux amants..
En ce milieu des années 50, Tony Curtis est sur le point de changer de statut, passant de jeune premier à star de premier plan. Dans ce rôle de Florea, il y a peut-être bien déjà un peu de la nonchalance du futur Danny Wilde.
A signaler que l’excellente Julie Adams joue la femme de Gallagher, mais que son rôle est assez court et, tout juste a t-elle l’occasion d’intervenir lorsque Gallagher excédé ne veut plus défendre Jerry. Egalement au générique, Don Keefer (Woody et les robots, Butch Cassidy, ..), dans un sale rôle de procureur tentant de faire passer Gallagher pour un ripoux. Une scène qui annonce un peu Serpico ou même l'Inspecteur Harry.
A titre d'anecdote, Sammy Davis Jr perdit un oeil dans un accident de voiture en se rendant au studio d'enregistrement pour la B.O. du film, alors qu'il franchissait un passage à niveau de la Route 66 à hauteur de San Bernardino (Californie). Il échappe de justesse à la mort mais perd l'usage de son œil gauche (il portera un œil de verre jusqu'à sa mort).
Sa carrière faillit se briser ce 19 novembre 1954. Ce qui n'empêche pas sa chanson de générique d'être particulièrement réussie.