Naples au baiser de feu (1937)
Réalisation : Augusto Genina
Adaptation : Henri Jeanson, Marcel Achard, Ernesto Grassi.
Avec : Tino Rossi (Mario), Mireille Balin (Assunta), Michel Simon (Michel), Viviane Romance (Lolita), Marcel Dalio (Francesco)
Adaptation libre d'un roman d'Auguste Bailly,
paru en 1924 et déjà adapté une première fois à l'écran en 1925 (un film
de Serge Nadejdine),
Naples au baiser de feu est un drame sentimental joué comme une comédie. Et c'est surtout un pur bonheur, une perle de film injustement oubliée.
Le film s'ouvre sur le personnage de Lolita
(Viviane Romance) passagère clandestine d'un paquebot arrivant dans le
port de Naples en provenance d’Amérique du Sud. On sait dès la première
seconde le genre de "fille" auquel on a à faire : une "aventurière",
une fille de petite vertu, prête à tous les mensonges et compromissions
pour embobiner les hommes.
Apparaissant dos nu en train de s'habiller
dans une cale de la salle des machines tandis que l'ouvrier (noir,
détail probablement pas innocent pour l'époque) qui l'a hébergée et qui
fut vraisemblablement son amant durant la traversée, vient la prévenir
que le bateau est à quai.
Il cherche à la retenir mais elle n'a
manifestement plus besoin de lui et s'en va déambuler dans les rues de
Naples à la recherche d'un autre gogo. Ce ne sera pas dur, tous les
hommes se retournant à son passage.
Il y a du Marilyn Monroe dans
la façon de marcher et du Brigitte Bardot avant l'heure chez Viviane
Romance. Elle connait son pouvoir de séduction et elle connait les
hommes. Elle en joue et s'en amuse (son rire moqueur - toujours face aux
hommes - est devenue un peu sa marque de fabrique).
Son personnage
est dans la parfaite continuité de celui de la garce briseuse d'amitiés
masculines de La belle équipe. En plus élaboré et plus sympathique
aussi. L'actrice a cette fois l'occasion d'aller au delà du stéréotype
et de développer un vrai personnage sans argent, papillonnant et passant
d'homme en homme pour mener sa barque.
A son arrivée à Naples
elle se rend à la cathédrale, lieu idéal pour trouver quelqu'un tout en
se donnant des allures d'honnête fille. Michel Simon y est organiste et
tombe immédiatement dans le panneau. Pris de pitié pour celle qu'il
imagine être une honnête fille sans défense, il l'héberge dans
l'appartement qu'il partage avec son ami Mario, playboy chanteur de
restaurant (trattoria) et potentiellement gigolo pour lequel toutes les
filles tombent en pâmoison.
Tourné en partie dans de véritables
décors de la baie de Naples, le film a une petite touche d'authenticité et un
charme pittoresque indéniable que la réalisation sage, même épurée de
Genina n'aurait sans doute pas pu produire dans le cas contraire. Mais la
réalisation est soignée : direction d'acteurs impeccable, éclairages somptueux pour les scènes d'intérieur, musique de Vincent
Scotto appuyée des classiques intemporels napolitains, et surtout des
dialogues particulièrement bien écrits, souvent très drôles et vivants
d'Henri Jeanson.
C'est d'autant plus vrai que le casting français
se fond parfaitement dans le décor, en partie grâce à la présence du
corse Tino Rossi jouant un personnage fait sur mesure pour lui de latin
lover et de surcroit chanteur napolitain. Ce qui lui donne surtout
l'occasion, comme fera plus tard Elvis Presley, d'interprêter ses succès
franco-napolitains entre deux courtes scènes de comédie, heureusement
pour lui : "Tarantelle D'Amour", "Santa Lucia", "Mia Piccolina", "
Catari, Catari", "Rien qu'un chant d'amour", "Écoutez les mandolines" ou
encore, moment savoureux, un "O Sole Mio" repris (saccagé en fait) par
Michel Simon, c'est à voir!
Si le film met en avant la super vedette du
music-hall (Tino Rossi est le seul nom à apparaître au générique avant
le titre du film),
Naples au baiser de feu est un vrai film et pas un
simple prétexte pour exploiter sa popularité. Aussi le scénario ne
tourne heureusement pas autour du fade Tino Rossi, beau gosse (à cette
époque bien loin de l'image du pépé papa Noël immortalisée), acteur
limité mais chanteur au succès démentiel (il est recordman absolu des
ventes de disques et le seul français à rivaliser avec Elvis, les
Beatles ou Michael Jackson parmi les plus gros vendeurs mondiaux de
disques toutes époques confondues).
Autour de lui c'est la fête avec quelques-uns des tout meilleurs acteurs de l'époque :
Michel Simon (qui tient ici un rôle proche de ce que pouvait faire Fernandel chez Pagnol -le film a d'ailleurs un côté
Femme du Boulanger
inversé, celui du bon gars brave et un peu naïf qui se fait avoir par
les femmes), Dalio truculent en photographe aussi excité par sa voisine
de balcon qui lui fait du gringue que pleutre et terrorisé par
Tino/Mario lorsque ce dernier s'en rend compte, la délicate et
classieuse Mireille Balin dans un rôle à contre-emploi puisqu'elle
abandonne son personnage de femme fatale (éprouvé dans
Gueule d'amour,
Pépé le moko,
et plus tard dans
L'assassin a peur la nuit..) pour jouer la gentille fille face à la bombe sexuelle
Viviane Romance qui crève l'écran et s'impose alors définitivement alors
comme la superstar féminine de l'époque. Leur unique confrontation fait d'ailleurs immédiatement des étincelles, sage fiancée et fille de mauvaise vie se jaugeant au premier coup d’œil.
Mais tandis
que Michel intercède auprès de la tante Thérésa (et accessoirement
patronne du trattoria) afin de négocier la main et la dote
d’Assunta/Mireille Balin pour lui, Mario cède peu à peu devant les
avances et les charmes de Lolita. Assunta ne s'y trompe pas :
inquiète, elle fait avancer la date du mariage. Le jour des noces, il disparait avec
Lolita, brisant amour et amitié par la même occasion. Rapidement il
comprend qu’il s’est trompé…
Michel / Michel Simon : Comment la trouves tu ?
Mario / Tino Rossi : Et toi comment l'as tu trouvé ?
Le
personnage de Lolita "ne vit que pour être désirée" comme lui dit un
Tino/Mario jaloux avant de tabasser un type parce qu'il la regarde de
manière un peu trop insistante.
Le charme et la sensualité
naturelle de l'ex Miss Paris font des étincelles dans un de ces
personnages de garce allumeuse dont on lui avait fait une spécialité.
Elle est délicieusement sexuelle : silhouette parfaite, poses
suggestives, yeux aguicheurs, démarche et voix sexy, passant une
nouvelle fois beaucoup de temps dans sa tenue favorite : sous-vêtements
et porte-jarretelles légendaires (qui marquèrent à vie le jeune Gilles
Jacob comme il le relata lui-même dans son livre «Les Pas perdus»
...c'est comme ça que naît la cinéphilie).
On aura jamais vu un tel érotisme dans le cinéma français de cette époque.
Viviane
Romance s'installait alors comme la vamp française n°1, sans égale
jusqu'à l'arrivée 20 ans après du phénomène Bardot, version femme enfant
au corps parfait d'une même sexualité émancipée.
"Partout où j' allais ma présence créait des scandales" dira t-elle plus tard. Sa carrière qui était sur le point de franchir un nouveau cap en 1939 avec un Marcel Carné (
Le Facteur sonne toujours deux fois) et un Renoir (
La Tosca
avec Michel Simon dont le tournage aurait du se faire en Italie) qui
étaient prévus, subit un coup d’arrêt avec l'entrée en guerre. C'est
d'ailleurs Michel Simon qui exigea la présence de Viviane Romance dans
la distribution du film, condition pour accepter d'être le partenaire de
Tino Rossi dont il n'appréciait guère les qualités d'acteur. A la
libération, sur la demande de Julien Duvivier, c'est elle cette fois-ci
qui dût convaincre Michel Simon d'accepter d'être le Monsieur Hire de
Panique. Les deux monstres sacrés avaient une admiration réciproque.
Leur complicité est d'ailleurs évidente à l'écran, il fait le mariole
(tours de passe-passe et massacre de O Sole et mio) et la fait rire. Quant à
Dalio, il
avoua dans ses mémoires qu'il désirait Miss Romance mais qu'elle avait
une telle façon de lui dire "Non" qu'il lui était impossible de réitérer
sa demande. Source: Henri Danty
Tino Rossi et Mireille Balin entamèrent quant à eux une relation amoureuse lors du tournage.
Mireille Balin signa à cette époque un contrat avec la MGM et
partit pour les États-Unis. Malheureusement, elle ne s'entendit pas
avec les producteurs américains et rentra rapidement en France avec
Tino. On sait ce qu'il advint. Sa relation avec lui pris fin en 1941. Sa
relation suivante avec Birl Desbok, officier viennois de la Wehrmacht
lui sera fatale.
Un nouveau remake,
Flame and the Flesh,
fut produit, en 1954, par la MGM cette fois et avec une autre bombe
sexuelle (vieillissante): Lana Turner, qui semblait destinée à récupérer
les rôles tenus ou prévus pour Viviane Romance.